The Last Guardian

Que penser de cette première expérience, si longtemps espérée, de The Last Guardian ? D’abord, que c’est a priori le jeu promis, sans concession sur le game design qui semble être la seule chose que n’aient pas touché les spin doctors et ingénieurs de Sony au fil des années. Il est toujours délicat d’isoler ce qui rend Shadow of Colossus et Ico si spéciaux pour tant de joueurs, mais ces premières foulées renouent avec cette atmosphère si particulière, ascétique, ces paysages rocailleux, cette astreinte du silence et de l’épure qui fascinent toujours, même un joueur vieilli de dix ans perdu au beau milieu des boumboums de l’E3. Du Ueda dans son vieux jus qui se confirme malheureusement sur les quelques défauts repérés ici ou là, comme ces collisions étranges, et la caméra qui part en sucette lorsque l’on grimpe sur le Trico. Le moteur de grimpette serait importé sans altération de Shadow of the Colossus qu’on ne serait pas surpris, et c’est sans doute un problème rédhibitoire pour tous les Puyo du monde. Surtout quand on tombe sans trop de raison du monstre. Quant à la technique, relevons aussi des chutes de framerate mais c’est pour l’heure acceptable (ça arrive surtout quand la bestiole passe devant la caméra), et ne nuit pas à la jouabilité et au plaisir de retrouver ce très vieil ami. Vous attendiez The Last Guardian comme un malade ? A priori, vous pouvez continuer.

Pétri de bonnes intentions, The Last Guardian aurait pu apporter une véritable bouffée d'air frais parmi les sorties de cette fin d'année. Transportant le joueur dans un univers onirique, mystérieux et fascinant, le dernier titre de Ueda milite en effet pour un gameplay minimaliste, mais amplement suffisant pour soutenir son propos, soutenu par son atmosphère enivrante et une bande-son fabuleuse. Néanmoins, si le jeu se sait se montrer touchant, il reste aussi terriblement frustrant car prisonnier d'un gameplay mal calibré et d'une IA beaucoup trop capricieuse induite non pas par l'aspect sauvage de Trico mais bel et bien par des scripts récalcitrants. Nous étions en droit d'attendre un vent de poésie, nous n'aurons finalement droit qu'à une brise de légèreté et d'originalité fortement teintée de nervosité.

La marque des grandes histoires d'amour se niche dans tout ce qu'on peut y pardonner. Une règle qui s'applique également aux oeuvres d'artisans ou d'artistes - à supposer qu'il existe une réelle différence entre les deux - et donc aux jeux vidéo. Avec The Last Guardian, Fumito Ueda et le Japan Studio de Sony livrent leur ultime histoire d'amour, aussi mouvementée que son développement mais tout aussi marquante que les deux précédentes. Malgré un retard plus prononcé que d'habitude et des soucis techniques pas complètement réglés, la magie opère en quelques minutes. Vivant poème qui traverse les miroirs et jamais n'abandonne, Trico est la plus attachante et la plus belle des créatures jamais croisées dans un jeu vidéo. La relation façonnée avec le jeune garçon que l'on dirige l'est tout autant, au point de ne pas arriver à les quitter lorsque le mot "Fin" apparaît à l'écran. Au terme d'un voyage envoûtant et éprouvant comme peu de jeux savent en proposer sans tomber dans l'excès, ce sont avant tout ses qualités inouïes qui vous submergeront en repensant à l'extraordinaire échappée vécue, ensemble jusqu'au bout.